mercredi 30 mars 2016

Chloé Miroir



Elle penche la tête sur un côté, pour mieux l’observer ou alors c’est un signe d’attirance inconsciente. C’est dans tous les manuels de séduction, de tics corporels qu’il est bon de reconnaitre entre spécimens de sexes opposés. Elle tient sa cigarette  entre l’index et le majeur, grattant le filtre machinalement avec le pouce. Mais là, ça ne veut rien dire, elle réfléchit c’est tout…

Elle lui a ouvert la porte facilement, au premier coup de sonnette. Elle devait être devant la porte à attendre. Quoi de plus normal pour son nouvel ami virtuel, tant de conversations littéraires et téléphoniques, c’était écrit de se rencontrer un jour. Ses grosses lunettes encadrent son champ visuel, faisant loupe sur sa belle amie et ses grains de beauté. Il la trouve très sexy, il a de la chance… 

Sa vie semble arrêtée dans le temps, restant immobile et penchée comme fascinée par le nouvel arrivant. Elle a mis sa robe la plus décolletée pour l’occasion. C’était la moindre des choses, pour avoir tant désiré cette rencontre. Elle le détaille et se souvient de leurs conversations, il est en dessous de sa vérité. Ses complexes ont minimisé son charme, et étant bien proportionné, sa taille n’a plus d’importance…

Il a l’impression qu’elle se regarde en lui comme dans un miroir, comme si elle attendait sa réaction. Même imperceptible. Il n’ose pas bouger de peur qu’elle se méprenne. Il est déjà amoureux d’elle, elle est telle qu’il l’avait imaginée. Sa peau sent bon l’amour et son œil l’intelligence qu’il a déjà perçu dans leur correspondance et leurs tchats. Il lui sourit…

Elle sourit à son tour et lui propose de rentrer. Elle tire une grande bouffée de fumée en fermant les yeux quand il passe devant elle, elle se sent heureuse…


Elle les rouvre subitement, mais elle est seule. 

Elle aurait pourtant juré…Elle est devant son miroir et allume une cigarette machinalement. Elle ne sait plus ce qu’elle attend mais regarde son miroir, son beau miroir, et essaye de lire quelque chose au fond de son tain.

« Miroir, Ô mon beau, dis-moi qui est la plus belle ? » Demande-t-elle. 

Non pas qu’elle s’inquiète de sa beauté mais plutôt de sa vie, et de toutes ces choses dont elle rêvait quand elle était enfant. Elle voulait faire écrivain, ou quelque chose comme ça. Écrire pour les autres, pour ceux qui ne savent pas écrire ou pas bien...

Elle regarde au fond de son miroir attendant sa réponse, mais il tarde comme s’il était en train de réfléchir ou de reprendre sa respiration.

« Toc ! Toc ! » Entend-elle soudainement.

Chloé se retourne, la clope à la main, et dit au miroir : « Attends, on frappe à la porte ! »

  C’est vrai. Aujourd’hui, elle attendait quelqu’un…


FIN

Jack Rackham

PS : Il y a des histoires où on peut comprendre ce qu’on veut. Profitez-en…^^

samedi 26 mars 2016

L'Amant de la Pharmacienne



Mattéo avait pris l’habitude de passer voir Virginie à toutes heures au magasin. La pharmacie avait l’étrangeté d’un lieu public mélangé à un endroit qui sentait bon le souffre de leurs ébats nocturnes, et cela donnait plus encore de piment à leur relation.

En fait, dès le tintement du grelot cristallin, quelque chose se passait. Lui en transe qui rentrait comme dans l’antre de Polyphème dans Ulysse, elle qui cherchait sa présence du regard et commençait à rougir comme si les clients et les employés voyaient tous sa gène et aussi le film de leurs soirées ici même entre les médicaments et les panneaux publicitaires médicaux.

Il lui faisait signe comme d’habitude remuant des doigts fins comme ceux d’un pianiste, puis il s’approcherait plus tard en lui donnant un baiser dans le creux de l’oreille, regardant bien aux alentours les collègues attentives au moindre écart inhabituel.

« Un flacon de L52, s’il vous plait mademoiselle. » Lançait-il, car il aimait acheter quelque chose à chaque visite pour ne pas avoir l’impression de lui faire perdre son temps. Et son temps justement était compté car quelques pattes d’oies rappelaient les moments précédents de sa vie où il ne la connaissait pas, bien qu’il la trouvât elle-même sans âge et sans défaut.

« Mademoiselle ! Tu te rends compte ? » Faisant semblant de le gronder après la fermeture et oubliant qu’elle était la patronne de cette belle pharmacie de quartier au chiffre d’affaire conséquent. Elle se souvenait qu’elle avait eu plusieurs maris, des enfants déjà grands, mais elle réagissait comme une employée modeste, une simple préparatrice en pharmacie.

Ce soir-là, Mattéo ne lui fit pas le grand jeu comme à son habitude même si son désir était aussi grand que la première fois. Il lui réservait une petite surprise pour le lendemain, à elle sa bien-aimée, pensant que la routine étant le seul ennemi d’un grand amour, il veillerait à ne pas endormir cette flamme et l’attiserait comme au premier jour.

La clochette tinta comme les autres fois mais il était arrivé plus tard, pour une fois, et eut droit au regard froncé de sa dulcinée, sur le point d’être inquiète.

« Tu m’as fait peur, un accident est si vite arrivé, ou alors c'est une autre femme qui… » 

Elle avait l’air vraiment bouleversée et Mattéo regretta presque cette mise en scène de son retard. La prenant alors dans ses bras, il mesura bien son amour pour elle, son cœur battait vite, et elle le lui rendait comme une femme sait le faire, en prenant la pleine mesure de son homme, montrant les chemins de son désir en se frottant contre lui, où elle le désirait.

Elle fit un geste pour se lever pourtant mais il l’en empêcha. « Non. Pas de fermeture et de rideau de fer ce soir, j’ai trop envie de toi. » 

Elle protesta avec le corps un instant mais pas plus que ça. Le magasin était vide de clients, il était tard et après tout, elle n’avait la tête à rien d’autre que lui.

Les deux amants oublièrent tout. La pharmacie, l’heure, et même tout ce qui faisait leur vie, ne pensant plus qu’à une chose, symbole de leur amour fou : Baiser.

Roulant sous le comptoir, ils ne faisaient qu’un et s’accouplaient à l’infini, transpirant de tout leur corps et se dévorant partout, avec délice et perversion, sans nulle idée de défendu ou de saleté. Ils se goûtaient comme des glaces aux multiples parfums, même carotte et asperge, fruits de mer ou chocolat…Le carillon sonna comme dans un rêve et ils réalisèrent soudain que quelqu’un venait d’entrer dans la pharmacie. Yeux hagards, ils réfléchissaient où ils avaient mis leurs vêtements, sans doute éparpillés dans les allées ou sur le comptoir. 

« Y’a quelqu’un ? » Dit soudain une voix de femme, sans doute Madame Carillo qui aimait passer un long moment ici chaque jour, habitant à deux pâtés de maison de la pharmacie. Une vraie commère, une langue de vipère, et ce serait la fin de son commerce si elle venait à supposer la moindre chose sur des pratiques illicites dans cet établissement.

Virginie voulut se ressaisir et tenta de se relever mais Mattéo pesait de tout son poids sur elle et arborait un petit sourire.  Elle comprenait à présent le jeu de son amant et eut envie de hurler. Pourtant son désir montait, jusqu’à atteindre des paliers inattendus pour une situation jusqu’alors inconnue pour elle. Elle était prise par son amant avec sa virilité habituelle, mais elle était échauffée plus qu’à l’accoutumée, basculant plus encore son bassin pour qu’il aille au plus profond de son coeur. Son souffle dans son cou la chavirait tellement, comme si elle était ivre. Mais ce n’était que de l’amour pur, le meilleur qu’elle n’ait jamais connu…

Entre deux spasmes, elle entendait parler dans le magasin –d’autres personnes étaient rentrées ?- mais elle avait la main de Mattéo qui l’empêchait de hurler de plaisir, lui accélérant le mouvement selon ce qu’il sentait de sa maîtresse. Quand madame Carillo s’approcha du comptoir sous lequel ils étaient, faisant mine de regarder par-dessus, il la retournait en silence pour la prendre encore mieux, ressemblant de loin à deux statues grecques d’une beauté sans nom. 

Mordant ses lèvres, elle arrondissait encore plus ses fesses pour qu’il ait envie d’elle plus encore, il se calait alors jusqu’au plus profond d’elle, transpirant abondamment de son immense désir puis jouissant ensemble du plus bel amour jamais consommé dans une pharmacie…


Des bruits coururent dans le quartier sur des présences nocturnes quelque fois dans ce magasin, mais on ne les  prêta qu’à des cafards ou des rats. Rien sur des otaries !

 Jack Rackham

 Photos: Linda Fiorentino.



lundi 21 mars 2016

Zaza la Magnifique



Son œil unique frémit d’exaltation, l’autre couvert d’un tissu noir, souvenir de bataille. Elle toise tous les hommes, exhibant un décolleté jaillissant de sa chemise ouverte pour montrer son courage et sa féminité.

Ses cicatrices racontent toutes ses aventures et son collier de perles ses amants sur toutes les mers du monde. Elle est belle et attire tous les regards, des plus grands Capitaines aux marins les plus modestes.

Il lui plait de jouer aux cartes avec ses hommes misant 1000 pièces d’or en un soir ou bien une nuit d’amour. Un petit dragon sur l’épaule lui sert d’animal familier, c’est une pirate des hautes mers et des basses terres.

Puis comme la citrouille de Cendrillon, son œil devient plus doux, son bandeau devient un bandana multicolore, son corsage redevient sage et elle baisse les yeux vers le bar où elle donne un coup de chiffon autour d’un verre renversé… 

- Je vous sers quoi, Capitaine ? Dit-elle en susurrant à peine entre les dents. Un sourire suave capture l’œil de Jack et son tricorne qui passaient par là, contente de son effet et lui rendant sa pièce.
- Je prendrais un ti-punch de chez vous, avec goût fruité et le rhum soutenu. Le pirate regardant à travers elle comme un medium, devinant sa vraie nature. Elle semble lire dans ses pensées et fait une moue en penchant la tête, amusée.

Liza va derrière le comptoir et prépare la boisson magique, l’agrémentant de quelques morceaux de fruits et d’un parapluie chinois, comme il se doit. Il ne la quitte pas des yeux et rêve de quelques secrets partagés. Ou alors de frôlements de paupières, très prisés de ce côté des Caraïbes…

Quand soudain, Jack s’étouffe ! Un peu comme l’autre fois avec une arête de poisson, mais là ce doit être un bout de fruit, une écorce de citron ou de peau d’ananas. D’un coup sec rappelant la poigne d’une aventurière précédemment évoquée, elle tape entre les omoplates du pirate et le sauve de l’étouffement assuré. Elle respire fort, transpire et semble transfigurée, à mille lieues de la tranquille patronne du bar-restaurant de ces lieux. 

Son sourire étincelant aux lèvres, elle dégage une force infinie et prend le tricorne du corsaire en mettant une coquille de noix sur son œil, inventant un cri de guerre en pointant un doigt au ciel :

 Zaza la Magnifique !!!

Puis elle sourit à nouveau en levant les yeux, caressant avec deux doigts dans sa paume un petit dragon volant.

Le Capitaine semble avoir retrouvé ses esprits et se dit qu’il a eu de la chance de trouver ce coin de paradis… 

(A SUIVRE)

Photo du bas : Elizabeth Bourgine dans Meurtres au Paradis.


samedi 19 mars 2016

La Beauté intérieure



Avoir trouvé ce nouveau port, cette nouvelle île, m’avait bouleversé. Des réminiscences me revenaient en bloc et tous les embruns de ma vie de marin semblaient embaumer mes narines, racontés dans mes premiers récits avec la fougue de ma jeunesse d’écrivain. Je frissonnais de toutes ces aventures vécues, des premières années d’école maritime jusqu’à l’île du Crâne et cette retraite dorée de Capitaine à quai.

L’école maritime du Capitaine Longfellows, ma belle Katia et la maison de la Veuve Sanders où j’avais connu mes premiers émois de jeune homme, étaient au panthéon de mes jeunes années, un âge d’or personnel incontournable comme l’invention du cinéma parlant ou du tabouret javanais, ce qui n’est pas peu dire.

La veuve Sanders. Je me souvenais d’elle, une grande dame à la forte poitrine, aux doubles mentons à répétition, aux cernes marquées comme des baldaquins, mais au cœur d’or et ayant été la première a me faire confiance en me donnant les clefs de sa maison, celle où j’avais croisé Katia et toutes ces filles superbes et travailleuses, dont je me souviendrais toute ma vie…

Un jour, elle m’avait trouvé un don et je devinais rapidement lequel, sous l’impulsion de ces charmantes donzelles, le lui prêtant même le temps d’un instant car elle le méritait bien. Je n’avais pas trop de préjugés sur ces histoires d’apparence, d’âge ou toutes sortes de codes moraux finalement basés sur l'aspect extérieur exclusivement.

A vrai dire, je n’avais pas moi-même un physique avantageux, malgré un tempérament joyeux et sûr de lui. Ayant du mal à séduire d’emblée comme les « beaux », je devais jouer sur mon bagout et mon charme volubile pour remporter la mise dans mes entreprises féminines, mais je gardais le cap malgré les déceptions. 

Souvenir de conversations au bout de la nuit  avec la petite Ingrid , acquiesçant à tous mes idéaux sur l’intelligence, la sincérité, la valeur personnelle et l’intégrité, ponctué d’une main sur épaule avec un regard de braise, et renvoyé aussitôt dans mes cordes par un : 

« Dis donc, t’as vu ta tronche ? »

Je gardais donc pour moi plus longtemps mon sabre de futur Capitaine, avant d’acquérir au fil du temps ma célèbre démarche chaloupée et mon aura brisant les cœurs et les tempêtes dans tous les ports…♥

Jack Rackham  

Photo : Lee Jeffries.

mercredi 16 mars 2016

Un Jour au Museum des mers du Sud



Le vent avait apporté Orfeenix dans ma nouvelle île, heureuse de pouvoir revoir son pirate préféré et aussi goûter aux spécialités locales dont je lui avais vanté les saveurs. La surprise fut d’autant plus grande qu’elle préparait des festivités pour convoler en justes noces, un autre brigand lâchant une dernière fois sa bien-aimée comme pour un enterrement de vie de jeune fille bien mérité…

Son sourire suave se mariait à son œil bleu comme dans mon souvenir et nous eûmes un grand plaisir non dissimulé à nous retrouver. J’avais d’abord prévu d’aller déjeuner au Bar-restaurant de Liza, puis de faire un tour digestif de l’endroit, poulet boucané, Ti punch et sauces piquantes obligent. Nous goûterions plus tard sa génoise aux pêches, préparée spécialement durant le voyage. Et nous irions ensuite visiter le Museum d’histoire naturelle de l’île, centre historique des environs. 

L’après-midi accueillit donc nos pas lents et repus vers ce Museum, et la beauté du site et les enchevêtrements et assemblages des ossements nous époustoufla tout de suite. Le lieu retraçait à sa manière l’évolution de l’humanité et de la vie animale, enchantant nos imaginations qui transposaient dans la réalité ces êtres en situation.

Derrière mon tricorne, j’observais Orfée et ses pas de danseuse, posant avec grâce ses arpions vers de nouvelles vitrines. Se penchant pour mieux voir jusqu’à se tordre le cou parfois, je n’en manquais pas une, admirant sa belle anatomie telle un des plus beaux spécimens de ces collections. 

Soudain, elle m’aperçut la regardant et s’exclama, brisant le silence de cathédrale des lieux :
« Jaaack !!! Tu es une canaille ! Tu ne perds rien pour attendre…» 

Mais son sourire disait autre chose que je croyais comprendre, et bras-dessus-bras-dessous nous repartions vers le navire pour y dévorer cette génoise aux pêches de sa composition. Laissant derrière nous pour le moment, ces squelettes de légendes où nous serions nous-mêmes un jour reconstitués, grâce à nos petits os retrouvés par des archéologues, écroulés de rire devant un tel tableau…

 Tous mes voeux, chère Orfeenix...

 Jack Rackham