lundi 27 novembre 2023

Conversation au Parc

 



- Ah, vous voilà ! Je ne vous attendais plus…

- Ca, je m’y attendais. J’ai quelques obligations par delà le monde, une goélette, un équipage, quelques mouettes à nourrir. (Il lui sourit)

- Vous vous moquez de moi ; je me suis échappée exprès pour vous- une chance que ce parc avoisine ma demeure- J’ai du raconter mille prétextes et mensonges pour être là. Et vous, vous…(Elle se recroqueville en tournant la tête)

- Allons, je suis venu rien que pour vous, bravant les flots et les vents, le temps et les fuseaux horaires. J’ai mis aussi ma plus belle tenue de gentilhomme, et mon plus beau tricorne, celui du dimanche. (Il se rapproche)

- Vous sentez bon…Il y a un dimanche dans votre monde ? (Ses yeux papillonnent)

- Que voulez-vous dire ? (Interloqué)

- Ce monde d’une autre époque où le rhum coule à flot, où les mœurs sont plus légères, où l’on voyage avec des balançoires « spatio-temporelles » (quel joli mot) de temps en temps pour séduire les plus jolies femmes, hi hi ! C’est bien ce que vous m’avez raconté, mon Capitaine ?

- J’ai de l’imagination et de l’aplomb, et ma ferveur ne sert que mes sentiments, ma belle dame. (regard doux, il s’approche au plus près)

- J’ai pensé à vous l’autre jour, et même les précédents, j’ai aimé vos manières et vos baisers…(elle le frôle)

- C’est bon de vous revoir, vos façons me conviennent et votre monde n’est pas si dépourvu d’intérêt et de plaisirs. Moi aussi, je suis loin d’avoir fait le tour de vos atours, je suis à vous…

Ils s’enlacent et se caressent, s’embrassent et s’embrasent, tout s’évanouit autour d’eux, égrainant les vêtements l’un de l’autre pour des gourmandises plus charnelles, parsemées de grains de beauté, de duvets et de poils, de plis et de jointures, arrachant leurs derniers tabous pour se goûter si profondément qu’ils oublient alors le temps où ils sont. La nuit est tombée, emportant leurs dernières forces, ils sont essoufflés et rassasiés, les yeux et la peau pleins de souvenirs, jusqu’à la prochaine fois…

- C’est bon de discuter avec vous, Capitaine. J’aime bien la tournure de vos phrases, vos analogies et votre sens de l’ellipse. Nous parlons le même langage en quelque sorte.

"Elizabeth ? "(au loin)

- Ah, je crois que John m’appelle. C’est un brave homme, il vient d’installer dans le jardin une balançoire…mais on ne peut pas tout avoir. Bonne nuit Jack, repassez par ici, j’aime parler avec vous…


Moi aussi !

Jack Rackham

 

lundi 20 novembre 2023

Purification

 

Son petit nom de naissance était aussi long que son nez, qu’elle portait dignement en choisissant avec intelligence le profil qu’elle voulait bien montrer : Purification.

Certains patronymes espagnols ont la particularité d’évoquer bien des tourments ou autres moments privilégiés de l’humanité. Purification avait pris son prénom comme une offrande voire comme un don. Et cela avait influencé toute sa vie…

Petite dernière d’une grande fratrie, elle avait avancé dans la vie la tête haute en acceptant les petits métiers, et même les plus vieux. « Ce qu’oune abrutie peut faire, yé peut le faire ! », aimait-elle à dire avec son accent, lançant le menton vers le ciel, les mains sur les hanches. Sa fierté sans pareil la guidait vers des nuits blanches endiablées, chevauchant les plus beaux caballeros, et même les plus laids ! Pour le plus grand profit du beau Ramon, qui s’en était mis plein les poches !

Mais les rictus de plaisirs s’étaient gravés à jamais sur son visage quand elle prit sa retraite pour se consacrer à une tâche unique : Celle d’élever les cinq enfants d’un veuf fraîchement éprouvé et enamouré de sa personne. Elle se doutait bien de son attention intéressée mais accepta l’offre comme une épreuve venant du plus haut, une sorte de sacerdoce pour la consacrer définitivement « femme ».

Elle tint sa promesse et éleva la progéniture de l’homme avec pertinence et sensibilité. Quelques taloches peut-être à des moments-clés de rebellions bien naturelles mais rien de rédhibitoire, du moins à son avis.

L’histoire se termine bien évidemment mal car le veuf la rendit veuve à son tour, et elle se surprit à maudire le ciel de ce sort cruel lui enlevant son bel étalon, qui jusqu’au bout avait su émoustiller son cœur et son cul. Des années plus tard, elle rendit l’âme à son tour et toute sa famille – celle de son époux, en fait- se réunit pour lui rendre hommage et lui dire enfin merci de tout ce qu’elle leur avait apporté. Un vrai don de soi, cette « Purification » au doux diminutif de Pura…

…mais que moi, j’avais toujours appelé : Mémé !


Jack Rackham


Photo de couv : Rossy de Palma.