dimanche 31 décembre 2023

Comme vous la lisez, cette Lettre

 


Elle avait passé Noël au balcon, attendant un mot de son bien-aimé. Puis la missive était arrivée, sentant bon le désir. Elle retardait à souhait l’explosion de ses émois, c’était une habitude avant de faire sauter le cachet de cire d’un coup d’ongle avisé, cela l’amusait…

Le pli s’ouvrait alors, comme la dalle d’un tombeau, laissant sortir le parfum étrange d’un mystère, dégageant l’atmosphère propice à l’amour. Reculant d’un œil clignotant vers la missive ouverte, son ongle verni fraîchement soulignait la prose interdite, laissant échapper les roses, les baisers et les allusions diverses jusqu’aux plaisirs intenses des pains au chocolat… Puis soupirant comme le soufflet d’une forge haletante, elle se remémorait lentement chaque mot, chaque vers, jusqu’à l’épuisement de son coeur.

Après l’avoir repliée, la lettre était empilée sur les autres, complétant le puzzle de cet amour manuscrit. Tels des pas de danse enchaînés sur la piste, elle avait rêvé cet amour, tournoyant sa croupe dans le vide plus que sur sa couche...

Puis le temps était passé, le bel amant envolé au détour d’un fossé, ne laissant que des lettres et des regrets, la belle Roxane drapée de noir, revivait son amour comme maintes et maintes fois, chaque jour.

La sonnette avait tinté. Son ami Rackham était arrivé, puis fut planté là devant elle, et il lui semblait bien qu’il lui témoignait de l’intérêt. A moins que ce soit de l’affection, tant son pantalon était tendu, aux poches remplies de mouchoirs, ou alors de clefs. Celles de ses coffre-forts, qui sait. Il devait y mettre tant d’amour…

Il ne lui avait rien promis mais il voulait bien lui lire une de ses lettres qui avait tant émoustillé la belle. Un peu d’amusement, comme un cours de diction, son nez semblait pousser, lui donnant un drôle d’air. Un air de Cyrano !

« J’en prends une au hasard ! » s’exclama-t-il, bien décidé à emporter la belle, loin au-delà des mers et bien plus encore.

Pendant qu’il lisait, dédoublant son attention, il la regardait lire, dévorant sa diction et ses intonations comme des friandises. Elle semblait revivre des souvenirs, pleine d’émoi et de transpiration, s’approchant peu à peu de lui, et susurrant à son oreille :

« Comme vous la lisez, cette lettre… »

 

Bonne année 2024 à tous !

Jack Rackham

Edmond Rostand (1868-1918) est l’auteur de la pièce « Cyrano de Bergerac » jouée en 1897 pour la première fois. C’est l’un des plus grand succès du Théâtre français !

 


Photos couv et bas : Anne Brochet dans Cyrano de Bergerac (Rappeneau).

samedi 9 décembre 2023

Le Navire qui tue ses Capitaines

 


Le titre du roman fait office d’incipit, de bande annonce sensationnelle et promotionnelle. Son auteur, un certain Maurice Tillieux, fait là ses débuts et deviendra quelques décennies plus tard un auteur de BD reconnu, surtout pour ses univers « polar » et son humour. Justement les ingrédients qui étayent cette œuvre au titre évocateur…

                                                                     *

Tout commence par un pitch qui la présente comme « une histoire vraie », une évidence en cette année 1943 où la guerre gronde en Europe et sur toute la planète. Nous voguons sur le Taï-Wan, un grand voilier qui s’apprête à doubler le Cap de Bonne espérance, et le premier officier de son équipage, John Hapgate,  subissant une grosse tempête doit demander son avis au Capitaine au moment de larguer la misaine. Mais le Capitaine Miller ne répond pas et on est obligé de défoncer sa porte, croyant à un problème plus grave.

Surprise, la cabine est vide et le hublot verrouillé. Sur la table, un couteau est planté sur un papier où un drôle de message est écrit : 

« Cette nuit du 28 juin, par  X de longitude Est et  X de latitude Sud, le Capitaine Miller a disparu. »

L’officier Hapgate et ses hommes se regardent, incrédules, la lumière de la lampe-tempête qui les éclaire vacille dans la pièce en même temps que leur raison. Le mystère de cette chambre close était bien confirmé par l’absence du Capitaine Miller dans tout le navire…

                                                                    *

Jack referma le livre, un petit sourire en coin, comme donnant l’impression d’une complicité avec son contenu.

- Et vous l’avez-lu en entier ce bouquin ? Lança Bosco, à la sauvette.

- Bien sûr ! Sinon comment…Tenez, vont arriver en scène Dany Lorton, l’armateur du voilier, et sa femme Stella. Une très belle femme, enfin d’après le livre. Tout se passe en Angleterre, vers Liverpool. Il y a aussi un certain Joë Burton  qui fait les détectives, un ami à ce Lorton. Puis il y aura un second voyage du voilier où un autre Capitaine va disparaître. Watson, qu’il s’appelait. Et toujours vers le Cap de Bonne Espérance, il va disparaître…

- Encore ? Et on n’a rien retrouvé du tout, cette fois encore ? Bosco était comme énervé.

- Non, rien. Enfin, pas tout de suite…On a même pensé à un suicide, c’est dire.

- Mouais. Pourtant, avec toutes les morts douces qui existent…Les yeux dans le vague, le cuistot semblait penser à quelque chose. De la tarte aux fraises « empoisonnée » ça pourrait être quelque chose !

- Puis finalement…

- Finalement ? Bosco se releva, curieux.

- Tu n’as qu’à lire le bouquin, tu sauras la fin. D’ailleurs, c’est fait pour ça les livres, si on veut tout savoir, y’a qu’à les lire ! ^^


Sans rancune 

Jack Rackham

Le Navire qui tue ses Capitaines. Editions de l’Elan, 2017. Par Maurice Tillieux, et 15 illustrations de René Follet. 112 pages.

Avec deux dossiers en supplément : Tillieux et l’aventure/ Collection Le Sphinx (préface E. Borgers)

Maurice Tillieux (1921-1978) Auteur belge de BD, c’est Gil Jourdan, Félix et César comme dessinateur et Jess Long, la Ford T, Natacha, La Ribambelle et Tif et Tondu, comme scénariste.