jeudi 15 novembre 2012

La Beauté de Clarence Brown


Clarence Brown avait croisé le matin même le sillage d’un Capitaine et avait trouvé refuge sur ce ponton ami qui prodiguait soupe chaude à volonté. Chaque année l’hiver amenait son lot d’incertitudes hormis celles de ne pas survivre une année de plus au plein air des routes des Caraïbes…

Sa peau burinée racontait ses jours et ses nuits et il enviait parfois les lits douillets et les repas aux couverts d’argent. Ce pirate Jack Rackham faisait office d’un père Noël en civil et les moussaillonnes qui allaient et venaient derrière lui, lui rappelaient des bons sentiments et des frémissements que son corps avait oublié depuis longtemps.

Il capta rapidement l’œil curieux d’une demoiselle ou paraissant telle, qui s’était arrêtée pour le voir manger sa soupe dans son hamac. Il cessa de se balancer et la regarda à son tour. Elle était belle avec son tailleur noir et ses talonnettes la faisaient grandir, donnant élégance à ses jambes qui paraissaient avoir dix mètres de long.

Ils se mirent à parler quand elle vint s’asseoir à côté de lui et il se cru au Paradis en train de discuter avec un Ange. Au fur et à mesure, il sentit son goût à la vie revenir et il eut envie de prendre la fille dans ses bras. Ce fut elle qui posa ses mains sur sa cuisse et leur chaleur fut si forte qu’il eut l’impression de brûler comme quand on s’approche trop près d’un poêle à bois.

Il retrouva alors sa peau de pêche et ses cheveux blancs devinrent comme de la suie. Son œil reprit du bleu et il cru apercevoir un ballet de mouettes juste derrière des nuages à l’horizon. Son sourire éclaira son visage et la fille le lui rendit comme si elle avait reçu un trésor ou mangé cinquante babas au rhum…

Clarence travailla quelques temps sur le Poséidon, jusqu’à ce qu’il eut assez pour monter un petit magasin. Il vendait des légumes, des conserves et toutes sortes de victuailles. Et chaque année quand viennent les premiers froids, il prépare de grandes marmites de soupe chaude qu’il distribue aux sans-abris, aux passants démunis et aux déshérités qui n’ont plus de toit ni d’espoir.

Il ne fait pas de grands gestes et ne parle pas fort. Il sert ses assiettes et ses bols comme de la poudre d’or.
Et son amie le regarde toujours elle aussi, comme s’il était un Ange…


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Merci à Orfeenix qui m’a fait découvrir Lee Jeffries, photographe britannique qui immortalise sur pellicule et à sa manière, les SDF… (Photo)