mercredi 16 janvier 2019

Une Belle Chieuse


  Sa main est là, sur le cœur, ou alors sur le corps. Ne cachant rien, sinon s’appliquant à mettre son bras où il faut. Car le peintre est précis, exigeant, inspiré et ne concède rien à son art qu’il veut personnel et unique…


« Un vrai casse-couille, oui ! » Elle est là qui vocifère, enrage, marmonne, fulmine, exulte et fustige. Elle cherche sa position mais se fout de ce vieux bouc aux chemises de bucheron économe. Elle écarte les jambes pour qu’il mate mais son œil pointe l’outrage et elle se referme, comme une huître sans perle.

La plume crisse sur le vélin, un peu usé du temps passé dans la remise à attendre le retour du maître.  C’est bon de retrouver le bruit du travail, l’odeur de l’habitude, le goût des choses qui se font, de la magie de la main sculptant sans y enser. La maîtrise est là, ou pas loin. L’encre ne tache plus, l’eau ne mouille plus, c’est l’heure du café bouillant qu’on aspire en soufflant…

Elle aime qu’il l’observe même s’il fait semblant du contraire, semblant de choisir une toile assez grande, de la punaiser sur le cadre, de poser le tout sur le grand chevalet, juste à l’équilibre, en face de sa croupe en sommeil, attendant l’œil aiguisé du maître.
Il a déjà connu ça, il y a longtemps. L’extase de la création, du corps parfait, du temps arrêté sur l’image.

L’idée est là, nette, insidieuse, emballante. Évidente.

« T’es une Belle Chieuse, toi ! » 

Jack
*
Sorti en 1991, Jacques Rivette a réalisé un long métrage intitulé « La Belle Noiseuse ». 4 heures racontant la création artistique à travers une peinture interrompue dix ans auparavant. Univers habité par les interprètes Michel Piccoli, le peintre, et Emmanuelle Béart, le modèle, s’opposant dans un ballet d’ego et de non-dits. Ça sent bon l’essence de térébenthine et la peinture, mais aussi les cigales et l’été, comme le temps d’un renouveau et de l’inspiration revenue. On parle aussi d’argent, car c’est le monde de l’Art et des collectionneurs. Un film à suspense véritable car le talent de l’Artiste est toujours un vrai mystère…

3 commentaires:

  1. Chapeau pour ce récit que je viens de lire avec délectation, Jack ! Le vieux bouc aux chemises de bûcheron économe entrain de peindre une belle chieuse avec un air d'eau vive : Quelle joie divine pour qui aime les femmes !

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    1. Ce film est un des monuments qui raconte avec justesse la création artistique et ses ressorts, il méritait bien pareil hommage...^^ ♥

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    2. Tout à fait Rackham Le Rouge !

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