Le beau
temps laissait un peu de répit à notre escapade même si les vagues étaient
hautes et donnaient un effet de tangage qui me rappelait quelques bons
souvenirs de marin. Je me tenais droit comme un i, pour bien sentir l’effet du
mouvement et humer l’air à pleins poumons, la bruine s’écrasant sur mon visage
comme des milliers de petits coups de fouet.
Je souriais à
cette évocation et je revenais quelques dizaines d’années en arrière à l’époque
du Capitaine Longfellows qui avait décidé de nous faire faire le tour du monde,
« afin de vous aguerrir à toutes situations » aimait-il nous répéter
jusqu’à nous en casser les oreilles. Il n’avait pas eu tort finalement, car une
vie et plusieurs commandements de navires plus tard, j’y pensais encore…
Nous étions
resté quelques mois en cale sèche à proximité de Madagascar pour cause de
réparation du brick goélette « L’Espadon’, un bateau-école de quelques dizaines
de mousses, encadrés par tout autant de personnel enseignant, en plus de l’équipage
principal qui nous servait de référent. Nous avions pris quartiers au nord-ouest
sur l’île de Nosy Iranja, un endroit
paradisiaque où nous fîmes l’expérience de la vie en communauté, avec ses bons
et mauvais côtés.
Tout
commença avec les corvées de linge que nous nous partagions et chaque jour, à
tour de rôle, deux d’entre nous allaient de l’autre côté du banc de sable à Nosy
Iranja Kely, endroit où nulle habitation officielle n’existait. Sauf…
Quelques
planches et des feuilles de palmiers disposées plus que construites, abritaient
une jeune fille du pays qui servait de lavandière aux navires étrangers de
passage, afin de les aider dans leur tâche et prendre à l’occasion quelques
pièces d’or. Travail oblige. Pourtant la petite Aziza semblait dénuée de toute
cupidité, et tout juste si elle donnait l’impression de s’intéresser à l’argent.
« Je
suis comme le vent qui passe. » aimait-elle à répéter avec un sourire très
doux, ponctué de dents blanches immaculées. Sa peau couleur chocolat au lait donnait
envie de la toucher tant elle évoquait de la douceur, et sa démarche qui balançait
faisait tourner la tête à tous ceux qui l’avait vue, corbeilles à linge sur la
tête et main sur la hanche…
Fin stratège,
Longfellows avait bien vu le coup arriver et avait partagé équitablement les
corvées de linge pour chacun. Ce qui ne fit que reporter le problème, qui se
compliqua quand l’équipage et le personnel enseignant se portèrent volontaires pour
la corvée de linge.
Certains des
jeunes mousses avaient du se confier à leurs ainés, ou plutôt se vanter, car
Aziza, outre ses formes et sa peau de pêche, avait des capacités amoureuses
très différentes des us et coutumes anglo-saxonnes habituelles. Une absence de
tabous et de pudeur quasi-exceptionnelle, une pathologie très rare chez une
femme, avait rendu « addict » tous les mousses de L’Espadon.
Chacun
avaient encore dans les yeux des souvenirs d’extase et de liberté jamais connus dans des bras,
sans imaginer un instant que ce comportement sexuel était naturel et non réservé
à leur personne. Aziza était comme ça et je n’ose préciser ici les ébats et
attouchements auxquels les mousses eurent droit de sa part…Je pensais moi-même
que cet amour était unique et prodigué à moi-seul ! Je fomentais alors de
quitter la marine et de trouver du travail dans la région, pêcheur de crevettes
ou quelque chose dans le genre. Ethan économisait déjà pour la ramener aux
Caraïbes, pendant que William songeait à la peindre et à en faire son égérie
pour une grande carrière artistique. D’autres avaient des idées bien moins nobles
ou prestigieuses, et songeaient à l’épouser pour en faire la femme de leur vie.
Avec gosses, ménage, vaisselle, et toutes ces choses passionnantes…

L’Espadon étant à deux doigts de la mutinerie générale, Longfellows du se résoudre à
mettre Aziza dans un canot, alors proche d’une petite île caribéenne avec
plusieurs jours de vivre et la moitié de la solde de tous les passagers du
bateau-école, finalement reconnaissants.
Et on ne la
revit jamais.
Un remous
fit alors sursauter la goélette et je revins sur le Poséidon quelques
décennies plus tard, le tricorne ébouriffé et
un peu déçu par moi-même de l’avoir oubliée...
Jack Rackham