jeudi 21 janvier 2016

La Pharmacienne



Le tintement cristallin brisa à nouveau le silence qui s’était installé dans le magasin.  

L’homme prit place derrière la file de personnes qui attendaient leur tour et marqua son arrivée d’un raclement de gorge, net et court. Il n’était ni grand ni beau mais planté sur ses jambes, sûr de lui et regardait vers la pharmacienne d ‘un œil franc et direct. Rien ne les reliait particulièrement, sinon la proximité de l’établissement de la maison familiale. 

Elle se tourna et leva discrètement le nez, mâchonnant un bonjour inaudible. Beaucoup de gens entraient et sortaient de l’endroit et machinalement, elle enregistra sa présence telle une physionomiste professionnelle. Son eau de toilette lui plaisait bien, chose inhabituelle chez la clientèle plutôt habituée à utiliser de l’eau de Cologne basique, virant dès les premières chaleurs de la matinée et obligeant le personnel à une omerta nasale automatique.

Sa chevelure brune et son port de tête fit qu’il la trouva différente. Les autres employées allant et venant n’ayant aucun attrait à ses yeux. Son tour approchait et il pria d’être servi par cette femme dont il essayait de deviner le prénom. Un jeu de regards imperceptible avec une collègue et miracle de la loterie des files d’attentes, il la trouva devant lui, charmante et digne, telle la vraie patronne du magasin et attendant sa demande.

Elle alla chercher les médicaments commandés selon les prescriptions du médecin, et le papier froissé dans la main, elle allait telle une aventurière à l’intérieur du dédale d’étagères et boîtes en tous genres qui constituaient un vrai labyrinthe. Se regardant  alors par-dessus un tiroir ouvert, leurs yeux se croisèrent et ils furent troublés comme si un secret commun venait de les lier. 

L’œil clair et franc, elle s’avança vers le comptoir et ils échangèrent quelques politesses qui furent noyés dans un brouillard nappé de confusions et de bredouillements mutuels. 

Au moment de partir, il la sentit regardant ses talons et il tenta une œillade perpendiculaire au sortir du magasin, comme image volée pour l’album virtuel de ses pensées. Bien rangée pour mieux en profiter seul, telle une gourmandise secrète.

Puis il revint un peu plus tard, et la retrouva intacte comme si les jours s’étaient arrêtés de passer. La magie opérait toujours mais ils ne s’étonnaient de rien, ne se demandant même s’ils pouvaient partager simultanément cette impression.

La pharmacie devint comme un lieu de mystère hors du temps et au fil des ordonnances, ils répétèrent le bal de leurs espérances, se demandant jusqu’à quand cela continuerait.

Une fois pourtant, il comprit un jeu de rires entre les employées, comme si la belle avait parlé de quelque chose qui était trop lourd à garder sur son cœur. Son regard noir d’un courroux sans pitié fut tel que le ciel s’assombrit et fit taire aussitôt toutes les pipelettes à quolibets.

Un soir s’approchant de la fermeture, il passa juste pour la voir. Ils étaient seuls pour la première fois et c’est machinalement qu’elle actionna le rideau de fer. Il la prit dans ses bras et l’embrassa, comme jamais il ne l’avait rêvé. Elle le regardait droit dans les yeux et dégagea le plateau d’un comptoir comme pour mieux l’inviter.

Sa peau était douce et le corps de l’homme se fit pressant. Elle caressait sa barbe et il remonta sur lui les jambes de Virginie, comme pour mieux la connaitre.


Doucement, il rentrait dans sa vie… 






Photo du bas : Linda Fiorentino.

13 commentaires:

  1. Quelle jolie histoire, elle a le parfum des films des années 50, par contre ne te rends pas malade exprès,ils vendent aussi du dentifrice, du savon....

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    1. C'est vrai que c'est un truc à être accroc aux ordonnances...Ah, le romantisme dans les rencontres, c'est pour ça qu'on vit ! Besos ma belle ♥

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  2. Doucement il rentrait dans sa vie... jolie façon d'exprimer les choses, captain!
    Et puis une belle pharmacienne, n'est-ce pas le rêve de tout homme ? Nue sous sa blouse, toujours parfumée, présos à volonté et jamais la migraine...
    -Rhhôhô ! mademoiselle Célestine !
    -Oui je sais, je suis d'un romantisme exacerbé ce matin...Pas taper, pas taper ! ^^
    Je te taquine, mais j'ai beaucoup aimé ton histoire.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Tu fais plutôt le tableau des infirmières là, mais je connais bien aussi ;)

      Un peu de romantisme dans un monde de brutes, je suis sûr que tu apprécies, même si tu n'es pas pharmacienne...
      Besos taquine Célestine ♥

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    2. Je n'aime que ça, en fait, le romantisme...
      ^^
      ¸¸.•*¨*• ☆

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    3. Je le savais, c'est mon tricorne qui me la dit...^^

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    4. Trop fort, ton tricorne ... ;-)
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  3. ... et eurent beaucoup d'enfants. C'est ainsi que se terminaient les jolies histoires qu'on me lisait avant d'aller rejoindre le pays des rêves. Merci capitaine pour ce beau conte,que je viens de lire avant d'aller rejoindre Morphée

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  4. Une rencontre hors du temps et pourtant ...se rendre à la pharmacie réserve parfois de délicieuses surprises ...merci Rackham !

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    1. De rien Jerry, quelques souvenirs sublimés pour le bonheur de mes lecteurs... ;) ♥

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  5. Moi je ne suis jamais nue sous ma blouse et je suis bien pharmacienne mais le soir à la fermeture...... pas sous le comptoir mais ??? Très joli romantisme ,bisous Rackham ,tu m'as manqué!
    `

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    1. Hmmm, les pharmaciennes ont néanmoins bien des mystères cachés sous leur blouse et le feu évidemment...J'adore aller à la pharmacie d'à-côté pour y chercher mes potions magiques, et observer aussi ce bal des pharmaciennes, aux regards attentifs et perçants qui remplacent bien d'autres paroles ;)
      Merci de ta visite Ava, tu m'as manqué aussi :)
      Besos ♥

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