lundi 3 mai 2010

L'Homme de Boue

L'homme semble assis là depuis la nuit des temps, figé dans une pose de berger qui attendrait son troupeau. Il est là agglutiné de terre coulée qui le recouvre entièrement. Sa main moulée tient encore son bâton de marche, et quelques mouettes sont venues encore hier picorer sur lui quelques moucherons téméraires et malchanceux.

L'homme est là depuis l'orage qui a frappé l'île du Crâne la semaine dernière. J'ouvre mon hublot plus grand chaque matin pour voir s'il a bougé. Pas d'un cil, pas d'un poil. D'un raclement de gorge je lui envoie un signe mais rien n'y fait, il restera un jour de plus ou le temps que son jeûne lui laissera la vie...

Derrière la rambarde du Poséidon, je cale mon menton pour me concentrer sur cet homme arrêté et je fixe mon œil longtemps sur lui, comme pour percer sa carapace de boue et ses mystères. Je passe à travers lui comme ferait un chat qui guette sa proie et je voyage en sa compagnie, découvrant ses pensées...

La bouteille à la mer tangue dans son cerveau. L'homme se souvient de Clara qui sourit à son regard. La mer est haute, les mouettes volent sur le dos pour les regarder s'embrasser, le bleu du ciel peint leurs envies candides et le vent soulève leurs pans de tissus comme pour les tenter d'aller plus loin encore et encore. La belle se donne à son amant et leurs émois font des copeaux comme des peaux de fruits qu'on finit par manger...

Elle doit partir pour régler quelques affaires, rompre à tout jamais de son mari. Il prépare le lit de son retour, leurs projets se nappent en carte aux trésors et leur bonheur n'attend plus que son retour. Un feu d'artifices de leur nouvelle vie les attend, quelques au-revoir furtifs le laisse sur le ponton, gardien de leur amour...

L'homme attend toujours le retour de sa belle. Il ne compte plus les jours tant les encoches ont griffé les lattes de son plancher...Le lit pleure l'absence et son cerveau repousse les raisons et les vérités qui l'assaillent. Il décide de l'attendre près du ponton où ils se sont quittés, Clara est son amour...

Un faux mouvement le projette dans les algues de boue qui bordent la plage. Il se relève péniblement et rampe sur le parapet de bois. Il s'arrête là, se tenant sur son bâton, elle ne va pas tarder c'est sûr, Clara va revenir...


* * *

Jack Rackham.

Sculpture photo : Osmane Sow. 

14 commentaires:

  1. Un magnifique texte où le corps bout d'impatience ;o)
    Douce journée ...
    Bises

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  2. Merci Marie ! Le corps de boue...^^
    L'important c'est d'y croire en amour...
    Bises
    Jack

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  3. J'aime beaucoup lorsque tu écris sur l'attente et ce n'est pas la première fois.
    C'est finalement lorsqu'un amour se termine qu'il est le plus beau, qu'il prend beaucoup plus de valeur... Clara ne reviendra sans doute pas, mais il se souviendra toujours qu'il a été heureux ...
    Je vais sur le net pour mieux connaître Osmane Sow, la sculpture est magnifique..
    Merci !

    Bises grises à cause du temps qu'il fait !

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  4. Merci Virginie de ton commentaire.
    On peut mieux penser à un amour terminé, c'est sûr, mais le continuer est mieux néanmoins. ^^

    Je te fais passer un dossier photos sur O. Sow sur FB si tu veux...
    Besos ! ( Temps mauvais ici aussi :(

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  5. Bel homme debout, qui ne bout pas d'attendre, qui reste de boue, malgré tout. Mais pas englué, juste plein d'espoir.

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  6. Oui, toujours de l'espoir l'homme debout...^^
    Besos Tifenn.

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  7. Joli texte ! Et merci pour la police de caractère que tu as choisie ! Je m'use les yeux sur certain blogs !

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  8. Merci Louisianne !
    J'ai pensé à la lecture justement, et même le ton beige clair n'use pas les yeux. C'est vrai, peu importe le design, c'est pour écrire et être lu que je l'ai ouvert...
    Besos !

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  9. Un homme de boue me ramène à ton texte une femme en papier surlaquelle tu pratiquais tes rites vaudous de dessinateur passionnée et talentueux...l'attente tu l'écris si bien Jack au point de se sentir en suspension...un quelque chose dans les pensées-desirs de cet homme qui attend sa belle...en attendant Godot...JE t'embrasse fort mon beau...une luxuruante vertige que de te lire!!flora

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  10. Toujours enflammée Flora, merci de ton passage et du plaisir de lire ton commentaire !
    Besos forts !
    Jack

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  11. Bonsoir je découvre votre blog par celui de Nanou
    Oui super texte un grand merci
    Passe une bonne soirée et à bientôt

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  12. Bonsoir France,
    Je découvre moi votre commentaire...^^
    Merci de votre passage, revenez quand voous voulez.
    Besos !

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