Accoudé à la rambarde, je souris déjà d’un prochain soleil brûlant et j’ajuste mon tricorne comme pour le faire venir. Je plisse les yeux, souvenir d’une nuit de rêves appétissants et je tâte mon ventre d’un bacon et d’œufs qui vont bientôt remplir ma panse accueillante. Mes yeux saisissent quelque chose sur le bord de la plage, une pagaie, une branche, un je-ne-sais-quoi…
Mon acuité devine plus qu’elle ne voit et mes jambes déjà se mettent en route pour me rapprocher de cet inconnu. Je balance comme un singe jusqu’à la plage, saluant d’un toussement le ponton. Plus j’approche et plus je cerne l’objet qui m’attend…
La mer bruisse de mille gouttes et je me baisse mollement, englué dans le sable mouillé qui semble aspirer mes sandales. Je flique-floque en revenant, tenant à la main mon trophée : Une bouteille à la mer !
Je la tourne et retourne, caressant son verre dépoli, pour savoir si elle cache un message, comme il est de coutume. Le bouchon est docile et je tourne ma pogne doucement, libérant le goulot. Mon œil se glisse dans le verre protecteur et je vois du parchemin blanc m’inviter à le prendre. Mon doigt agile accroche le mystère et je sors le vélin.
Le vent fouette mon visage et filandre mes cheveux pendant que je lis mon message. Je dis bien mon message car il m’est adressé, en plein visage. Je connais cette écriture mais pas les mots qu’elle me conte. Je relis lentement et n’ose y croire.
Des relents de souvenirs me remontent. Je ressens ses cheveux, sa peau et son envie, comme une dernière fois. La marée de la vie a recouvert notre aventure de sable pour l’enfouir à jamais. Les mots sans équivoque durcissent mon cœur de pirate, qui repousse le chagrin et la peine d’un revers de manche.
Mais je sais bien que mon âme meurtrie va mettre du temps à déglutir oubli et palanquin de larmes. Je fais quelques pas de plus et je remonte la passerelle vers mon univers de Capitaine. Les hommes vont et viennent et ma gorge ne crie rien. Mon cou est pris comme dans de la glue pour invectiver mouettes et saligauds. Je prends un peu d’élan et je rejette la bouteille, à la mer. Très loin.
Je tiens le gouvernail et prends du vent comme pour me punir. Je sens ma gueule et mes sourcils qui froncent et je fais virevolter mon volant pour aller vers l’océan.
J’ai besoin de sentir des embruns d’aventure pour éviter de hurler jusqu’au Cap Horn.
Une simple bouteille m’a circoncit de ma jeunesse, coupant un lien et mon amour propre.
Une larme coule de ma joue rougie mais je serre les dents.
Je n’ai rien…