Je regardais devant moi, l’œil fixe et détaché. De la boue
recouvrait encore une partie de mon corps et je me sentais comme un confit ou
dans une sauce, avant un bon repas…
Le chef guérillero gesticulait dans tous les sens comme pour
indiquer le maniement des fourchettes et couteaux, ayant fait de moi le plat de
résistance des visiteurs malvenus et capturés. Je résistais du mieux que je
pouvais et j’avais bloqué mes pensées profondes un jour de printemps au cours d’une
escapade champêtre avec l’épicière du village. Je souriais aux images
impudiques d’une gourmande aux envies intestines insatiables. Je l’étais tout
autant en un ramoneur pirate et des heures durant nous fêtions à notre manière,
l’arrivée des premiers bourgeons. Un coït interminable de connivence était
ponctué de mes grognements virils et d’un cri strident et continu qui m’assurait
du contentement majestueux de mon fourreau aux longs cheveux…
Le crissement des lames contre la pierre ponce me ramena
dans la marmite où des guerriers nous avaient plongé mes compagnons d’infortune
et moi. Nous avions été capturés au
cours d’un pique-nique crapuleux et seul Bosco avait pu s’échapper avec de
grands coups d’épaules de taureau et un démarrage vers la forêt digne des plus
grands milers. Je réfléchissais à quelques plans d’évasions même si les frôlements
d’Orfée, en visite sur l’île ce jour-là, me troublaient. Sa présence me
rassurait au fond de ce chaudron des délices de nous-mêmes et nous nous
embrassâmes une dernière fois de nos
bouches goulues et assoiffées de liberté. Je lui fis un clin d’œil pour la
réconforter car j’étais bien décidé à quitter le menu de ces guerriers
cannibales imprévus dans mon agenda. Je frémissais au destin alimentaire de sa
peau douce et rageais contre ce gâchis…
Ses mains habiles aiguisaient sans cesse mon envie de
survivre et je lui savais grée de ce soutien moral et plus. Un des cuisiniers nous recouvrit d’une couche
supplémentaire de beurre salé des montagnes et je le pris en estime car dans le
concert de nos destinées opposées mais complémentaires, de son onction suprême au
milieu de ces légumes et compagnons, il avait compris le rouage essentiel de ma
psychologie et ce qui mouvait mon horloge biologique de pirate.
Le sentiment d’avoir bon goût…
(A Suivre…)